Fortifications Belges et Maginot + Les moulins en Belgique

Fortifications Belges et Maginot + Les moulins en Belgique

2 - Eben-Emael


Eben-Emael article Joseph Thonus

Suite

Des plans venant du ciel pendant la « drôle de guerre »

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Au fait, que fut notre « police du ciel » avant mai 1940 ? En raison de sa neutralité, la Belgique se devait d'interdire à tout belligérant le survol de son territoire. Bien que cette décision fut prise dès le 3 septembre 1939, le développement de la guerre aérienne allait prendre une dimension telle qu'il fut fort malaisé de la faire observer, d'autant que des avions des deux camps n'hésitaient pas à pénétrer l'espace aérien belge. Soit ils effectuaient des vols de reconnaissance de notre dispositif de défense, soit ils passaient tout simplement pour atteindre plus facilement leurs objectifs, soit enfin pour échapper à l'aviation de chasse adverse. Ainsi, dès le lendemain du 3 septembre, le survol du territoire fut constaté à plusieurs reprises à proximité des frontières hollandaises et allemandes : activités de reconnaissance qui ne firent que s'amplifier par la suite. A vrai dire, les moyens dont disposait l'aviation belge de l'époque étaient dérisoires et mal adaptés à leurs missions, dont certaines tournèrent au drame. L'affaire Henrard, premier pilote belge descendu le 9 mars 1940 par un Dornier 17, ne fut que le début d'une série d'escarmouches, se terminant invariablement au détriment des avions de chasse belges, obsolètes en la circonstance. Cela amena d'ailleurs les Français à qualifier l'espace aérien belge de « refuge » offert par la Belgique aux avions de reconnaissance allemands, leurs poursuivants de la chasse franco-britannique arrêtant systématiquement leurs poursuites à la frontière belge[1]. Est-il encore utile de se demander d'où les Allemands avaient leurs plans (photos) du dispositif du fort d'Eben-Emael ? Tout qui possède quelques notions des possibilités qu'offre l'exploitation des photographies aériennes, n'aura aucune difficulté à comprendre ! La 631e Section cartographique des services de renseignements allemands aura eu de ce fait, l'occasion de faire tout à son aise, un « travail de précision » ! Ainsi donc, la « drôle de guerre » existait-elle aussi dans notre espace aérien !

Pas d'éventualité d'attaque aéroportée sur la ligne du canal Albert

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En Belgique, l'atterrissage forcé d'un appareil allemand dans la région de Maasmechelen, avait permis la capture de documents attestant l'intention des Allemands d'utiliser des troupes aéroportées d'une part, par petits détachements chargés de s'emparer des ponts de la Meuse au Sud de Namur, d'autre part en effectuant des atterrissages d'assaut dans la zone Fosse-Graux. A l'analyse des documents capturés, il apparaissait très clairement que des parachutistes seraient surtout employés contre les arrières des positions pour paralyser les communications et effectuer des sabotages. On avait alors considéré que les troupes en place suffiraient à neutraliser, moyennant une vigilance accrue, ces groupes de saboteurs. Les terrains d'atterrissage, quant à eux, seraient encerclés et neutralisés par l'artillerie !

On n'avait pas envisagé l'emploi de parachutistes ennemis sur la première ligne de défense elle-même, pas plus qu'entre le premier et le deuxième échelon. D'autre part, l'emploi de planeurs n'était pas évoqué !!! Le 26 mars 1940, sur base de ces documents et d'informations envoyées de Berlin par le colonel Goethals, l'EMG édite une instruction détaillée sur les mesures à prendre contre les parachutistes et les saboteurs isolés opérant en petits groupes[2]. Elle précise cependant qu'ils pourraient être revêtus d'uniformes de l'armée ou de la gendarmerie belge ou d'un service public quelconque. La suspicion était ainsi lancée, six semaines avant les hostilités, sur toute une série de porteurs d'uniformes. Une instruction est diffusée au sein de l'armée jusqu'au niveau des compagnies ainsi que dans les brigades de gendarmerie. De fait des instructions sont données à la garnison « en repos à Wonck[3] ». La zone de cantonnement est divisée en « secteurs d'observation », lesquels sont le cas échéant « ratissés » par des sections d'artilleurs de forteresse au repos et désignés d'avance. Assez paradoxalement, une telle mesure ne sera pas mise en application pour le fort (en particulier pour sa superstructure). Il est vrai que de par sa situation géographique, le fort, se trouvant en « première ligne » du dispositif de défense, n'est nullement concerné !

Néanmoins, il est toutefois prévu sur le pourtour du massif du fort, 14 trous pour guetteurs, disposant chacun d'un téléphone relié au fort par une ligne de campagne. En cas d'alerte, ceux-ci doivent se rendre à leurs postes (2 brigadiers et 12 soldats). De fait, le 10 mai peu après l'alerte, ils se rendent à leurs postes d'observation, mais à 03 h 30 ils sont rappelés dare-dare à l'intérieur du fort car, sans appareil de téléphone, ils ne servent absolument à rien ! Les postes téléphoniques avaient, en effet, été prêtés au camp d'Helchteren !!! Avec le personnel « MiCA », ces guetteurs étaient les seuls à pouvoir surveiller le ciel au dessus du fort ! Toutefois, ils furent « utilement » employés à renforcer les corvées chargées de déménager les meubles et impedimenta des baraquements du temps de paix[4] !

Rappelons en passant que normalement, avant d'arriver au canal Albert, l'ennemi présumé devait d'abord traverser les 30 km de territoire hollandais, ceci peut partiellement expliquer la lenteur de certaines réactions.

 

 

 

L'alerte de la nuit du 9 au 10 mai 1940

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A la lumière des faits et événements qui à présent nous sont connus, force est de constater que, dès le début de l'alerte du 10 mai, le fort d'Eben-Emael commence « très mal » la journée qui devait être la plus importante de son existence ! De fait, bien avant que les événements de nature à lui porter un quelconque préjudice ne soient survenus, les problèmes, les incidents et la malchance s'accumulent.

Récapitulons : dans la soirée du 9 mai, alerte réelle, oui, mais ne précipitons rien cependant ... S'étant endormie sur l'oreiller de sa neutralité, la Belgique s'éveille certes, mais avec une prudente hésitation[5]. Alors que notre attaché militaire à Berlin, le colonel Goethals confirme à 22 h 30 l'imminence de l'attaque, ce ne sera qu'à 23 h 30 que le général Michiels, chef de l'EMG, déclenchera l'alerte générale. Le IIIe Corps (citadelle de Liège) ne sera averti qu'à 00 h 25, soit avec 55 minutes de retard et le Ier Corps à 00 h 55, soit avec 85 minutes de retard. L'ordre d'alerte, via le Centre de Renseignement Avancé (CRA), parvient à l'officier de garde, le lieutenant Maes du 2e Grenadiers, de service dans un baraquement à l'entrée du fort, qui avertit aussitôt le lieutenant Delrez de garde au PC du fort (il est 00 h 45).

 

Quelles étaient dans l'ordre, les mesures à prendre prévues dans le dossier d'alerte ?

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1° Tirer les salves d'alerte (20 coups à blanc à raison de cinq en direction de chaque point cardinal par la coupole de 75 de piquet).

2° Alerter le cantonnement de Wonck, dont les hommes doivent participer aux corvées de mise en état de défense des accès et de l'évacuation de matériels divers (NB : du personnel peut être prélevé sur certains ouvrages comme Mi Nord et Mi Sud pour effectuer ces corvées, mais un personnel de piquet capable de mettre en oeuvre toutes les armes devra cependant y rester[6]).

3° A la garnison : occupation des 17 ouvrages et des postes d'observation dans un délai de 20 à 35 minutes selon leur éloignement de la caserne souterraine; mise des armes en état de tirer. A cet effet un homme par ouvrage doit passer chez l'armurier pour enlever le petit matériel et les accessoires nécessaires (sacoche[7]); ouvrir les premières caisses à munitions et, en ce qui concerne les mitrailleuses, y introduire les premières bandes de cartouches[8].

4° Mise en oeuvre des nombreuses corvées, entre autres : transport vers la caserne souterraine ou vers Wonck du matériel se trouvant dans les baraquements du temps de paix; destruction des baraquements en cas de déclenchement des hostilités; obstruction des chicanes laissées ouvertes dans le réseau de barbelés au moyen de chevaux de frise.

En cas d'alerte, les délais d'exécution étaient donc les suivants :

     - occupation des ouvrages de combat : de 20 à 35 minutes.

     - le fort entièrement prêt en 3 heures, ce qui correspondait à 03 h 30 le 10 mai.

Cela signifie donc que, malgré l'heure de retard accusée lors du déclenchement de l'alerte (00 h 30), le fort devait être prêt avant l'arrivée des planeurs ! Ce ne fut hélas nullement le cas. Voyons dans l'ordre, les événements tels qu'ils se sont déroulés en réalité.



[1] Protestation officielle de l'ambassadeur français Bargeton, le 19 novembre 1939. Car, ne l'oublions pas, la France et la Grande-Bretagne étaient en guerre avec l'Allemagne depuis le 3 septembre 1939.

[2] Le journal Le Soir publie le 6 avril 1940 un long article à sensation : « S'il en tombait des nues, méfions-nous des parachutistes et des saboteurs ».

[3] Le fort d'Eben-Emael détient encore actuellement l'original d'un semblable document.

[4] Cette « importante mission » était prévue dans les ordres d'alerte, mais en 4e urgence !

[5] Rappelons qu'à l'occasion de l'alerte du 13 janvier 1940, pour avoir à minuit fait enlever les barricades à la frontière française, le général Van den Bergen perdit le 2 février son poste de Chef de l'EMG, sanction d 'un « zèle intempestif » de nature à mettre la neutralité de la Belgique en péril !

[6] Ce qui ne fut pas le cas le 10 mai 1940.

[7] Ce qui fut exécuté négligemment, sans contrôle du petit matériel.

[8] Ce qui ne fut pas exécuté le 10 mai 1940.

 

Les salves d'alerte

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La coupole de 75 Nord, qui est de piquet, reçoit l'ordre de tirer les salves à 00 h 31, elle annonce « coupole prête » à 00 h 55. Réponse du PC : « attendre », car simultanément survient l'interdiction de tirer la salve d'alerte, interdiction restée inexpliquée jusqu'à ce jour[1].

 

C'est à 02 h 35 que le major Jottrand transmet l'ordre au commandant Vander Auwera « capitaine de jour », qui le retransmet au lieutenant Verstraeten, l'officier de tir des coupoles de 75. Ce dernier donne l'ordre de tirer. La coupole Nord répond alors « coupole manque », soit une impossibilité de tirer par manque de personnel. Entre-temps, des canonniers ont été réquisitionnés pour assurer des corvées et il ne reste plus que 8 hommes à l'étage inférieur de la coupole ! L'officier de tir s'adresse alors à la coupole Sud qui à son tour signale « coupole manque », pour raisons techniques nécessitant du temps afin de réparer. En réalité, coupole Sud est encore dotée des percuteurs d'exercice et il faut faire appel à l'armurier (caserne souterraine) pour changer les percuteurs, ce qui entraîne des pertes de temps considérables.

Ce n'est qu'à 03 h 25 que le premier coup est tiré, auquel succéderont des salves très irrégulières. De ce fait, l'alerte par salves est donnée avec 2 h 55 de retard et à une cadence sans aucun rapport avec celle qui est prévue pour la salve d'alerte !!!

Ce premier incident aura des conséquences considérables tant pour le cantonnement de Wonck que pour les unités d'infanterie des villages voisins. Une estafette est bien allée prévenir les gradés logeant chez eux mais, en ce qui concerne le gros de la garnison de réserve, force est de constater que le maréchal des logis, chef du poste de garde au fort, a tout simplement oublié d'alerter le casernement de Wonck. C'est tout à fait fortuitement, vers 03 h 00, que le lieutenant Levaque, revenant du fort avec une camionnette chargée du matériel à évacuer, avertit les hommes du cantonnement de repos.

Logés de manière assez dispersée, les hommes sont rassurés par le rétablissement des congés depuis la veille au soir; l'événement avait d'ailleurs été dignement arrosé. Tout le monde croit encore à un exercice d'alerte, d'autant plus qu'aucune salve n'avait toujours été tirée par le fort. Personne n'ignore qu'un exercice d'alerte est prévu pour le 10 mai, ce qui renforce l'incrédulité des soldats et explique que certains ne sortent de leur lit qu'à 03 h 25 lorsque tonne enfin le canon du fort, qui ramène d'un seul coup à réalité les esprits les plus désinvoltes[2].

 

L'interdiction de tirer sur le territoire hollandais

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Bien que les Allemands aient tout prévu pour que les ponts de Maastricht soient capturés intacts (2 ponts routiers : Wilhelmine et Saint-Servais et un pont ferroviaire), contre toute attente, le bataillon 100[3] chargé de cette mission voit sauter les trois ponts devant son nez et demeure à l'arrêt sur la rive Est de la Meuse, en attendant le franchissement par des moyens de fortune. D'autre part, les colonnes des 3e et 4e Panzerdivisions, ayant conformément au plan de mouvement, progressé vers Maastricht sur les routes accédant aux ponts, s'engagèrent dans d'effroyables embouteillages. Ce fut non seulement une très désagréable surprise mais une véritable catastrophe. Aussi dès le début des opérations, la région de Maastricht grouillait littéralement de troupes allemandes du XVIe Corps, constitué des 3e et 4e Panzerdivisions et de leurs renforts : IR 51, Groupe Aldinger, Baulehr Bataillon 100, 601e Pionier Regiment (chargé de construire les ponts); tout cela s'agglutine sur la rive droite de la Meuse, à portée de l'artillerie belge[4].

Plus au Sud, vers 10 h 00, les observateurs du fort d'Aubin-Neufchâteau, en observation à Fouron-Saint-Martin,

 

Entrée du fort d'Aubin-Neufchâteau

 

demandent en vain au fort de tirer sur les troupes ennemies qui se dirigent vers eux. Il s'agit du IIe Bataillon du IR 489, en flanc-garde Sud de la 269e ID, qui fonçant vers Eysden, devait laisser la priorité de la grand'route Aix la Chapelle-Vaals-Gulpen-Maastricht à la 4e PzD, en devant donc se contenter des routes secondaires entre la grand'route et la frontière belgo-hollandaise. Très mal à l'aise, les Allemands roulent pendant des heures en se sachant à portée des artilleurs belges (forts d'Aubin, Barchon, Battice, Evegnée, artillerie de campagne des 20e et 14e RA et éléments de l'artillerie d'armée) pour lesquels ils constituent une magnifique et immense cible de choix. Et pourtant, pas un seul obus n'est tiré ! La raison : une interdiction de tirer sur la Hollande « sans autorisation du haut commandement » (reçu le 15 avril 1940).

A la réception de ce message ultra-secret[5], le commandant de l'artillerie, se trouvant à l'EM du Ier Corps, fait part de son étonnement au chef d'EM, car les plans de feux prévoyaient précisément de nombreux tirs sur le territoire hollandais, en l'occurrence sur les axes aboutissant à Maastricht.

Au IIIe Corps, cette prescription ne manque pas de jeter le trouble dans les esprits, tout particulièrement au 2e Régiment de Cyclistes Frontières (région de Visé).

Le 10 mai 1940 ces mêmes commandants de grandes unités ainsi que le commandant du fort d'Eben-Emael réclament l'autorisation de tirer dès le début des hostilités, appels restés d'abord sans suite ... du fait du déménagement dans le courant de la matinée (10 mai) du GQG de ses locaux du temps de paix situés à Bruxelles, vers le fort de Breendonck (aucune liaison ne fut possible durant ces heures graves) !

Cette aubaine pour les troupes allemandes leur permet d'attendre la construction de ponts provisoires de fortune (bateaux pneumatiques) et de franchir la Meuse sans le moindre bombardement d'artillerie, dans le courant de la matinée du 10 mai ! Cette interdiction de tir permet également aux Allemands de construire en toute quiétude les ponts militaires où passeront, dès l'aube du 11 mai, les chars des 4e et 3e Panzerdivisions (voir ci-après le croquis des secteurs de tir de l'artillerie de forteresse et de campagne sur le canal Albert).

Enfin, il y a lieu de rappeler une action qui aurait pu coûter cher aux Allemands et peut-être même faire capoter les opérations aérotransportées (planeurs) du canal Albert. Le 10 mai à 00 h 15, le lieutenant-général Duvivier, commandant la DAT[6], se présente chez le général Michiels pour lui proposer qu'à partir de l'aube nos avions de chasse patrouillent au dessus du canal Albert. Michiels refuse, estimant que cela n'est pas nécessaire. Les planeurs allemands, sans armement ni défense, volant à +/- 124 km/heure l'ont échappé belle !

Pour une fois, l'aviation belge se serait trouvée face à un adversaire à la mesure de sa capacité opérationnelle !

S'attendant à une attaque terrestre, alignés au cordeau face aux hangars, surpris le 10 mai à 5 heures du matin par une attaque aérienne, 62 appareils sur les 183 que comptait notre aviation sont détruits au sol !



[1] Ce retard par ordre, provenait évidemment d'un échelon supérieur qui ne put être identifié. Aucune trace dans les archives ne permet d'en savoir davantage.

[2] Il est à remarquer que le retard des salves d'alerte réelle renforcera une même atmosphère de doute parmi les soldats des unités d'infanterie et d'artillerie de campagne en poste dans le secteur. Les congés ayant en outre été rétablis la veille, certaines négligences, coutumières lors des exercices, furent commises et elles auront des conséquences catastrophiques au moment de l'attaque (armes sans munitions, grenades sans détonateurs etc).

[3] Bau-Lehrbataillon zu besonderen Verwendungen n° 100 (bataillon d'instruction du génie de construction à utilisation spéciale).

[4] 92 bouches à feu dont 1 x 280 mm, 4 x 170 mm, 12 x 155 mm (sans compter le fort d'Eben-Emael, à ce moment neutralisé). Voir croquis.

[5] En annexe, copie de l'ordre d'interdiction.

[6] DAT : Défense Antiaérienne du Territoire


06/12/2008
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